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Communication interne des organisations : Entre paradoxes et recherche de légitimité

vendredi 25 novembre 2011

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La communication interne demeure intermittente dans de nombreuses organisations au Burkina Faso. Le système de management en prend un sérieux coup puisque ces structures n’arrivent pas à mobiliser les énergies de leurs salariés vers un même idéal. Telle est la conviction d’Arsène Flavien BATIONO, Chercheur associé et Président du Groupe d’Etudes et de Recherches en Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication (GERSTIC).Après une analyse critique des principaux problèmes, il dégage quelques propositions pour une meilleure appropriation de la communication interne par les organisations.


« Devant la faillite de l’idéologie du progrès linéaire et continu, la communication prend le dessus et s’impose aujourd’hui comme le paradigme par excellence de l’humanité à un moment où celle-ci cherche désespérément un sens à son histoire ». Armand et Michèle MATELLARD (1999)[i] ne croyaient pas si bien dire. Vérité en deçà des Pyrénées. Vérité au delà.

La communication peut donc être considérée comme la pierre angulaire du management des ressources humaines. Bien qu’il ne faille pas sombrer dans ce que Philippe BRETON appelle une « utopie de la communication »[ii], il convient tout de même d’admettre que la communication s’élève désormais au rang des orientations stratégiques des entreprises en quête de performance.

La réalité est telle que faire abstraction de la communication, exposerait immanquablement l’organisation à la sclérose et au dépôt de bilan. S’il est vrai que « tout est communication » et qu’ « on ne peut pas ne pas communiquer » selon la théorie des 05 axiomes de la communication de Paul WATZLAWICK[iii] , encore faudrait-il en avoir conscience et savoir créer une osmose entre les différentes sphères de la communication(langagière, verbale, non verbale, émotionnelle, scripturale…) pour tendre vers les objectifs stratégiques de l’entreprise.

L’organisation étant un système, elle doit veiller à une congruence entre sa dynamique interne et externe.

Dans la présente analyse, nous envisageons la communication interne comme catalyseur, force motrice du management de l’organisation. Une vision d’autant plus justifiée que les nombreux problèmes managériaux des entreprises, au Burkina Faso, en Afrique ou ailleurs dans le monde, qu’ils soient itératifs ou sporadiques, sont généralement la résultante d’une faiblesse ou, pire, d’un délitement du dispositif communicationnel interne.

Les exemples d’entreprises où le climat interne est délétère, où les rapports interpersonnels sont marqués par la rigidité, la suspicion, la délation… sont légion.

Comment naissent les principaux maux qui minent la communication interne des entreprises au Burkina Faso ? Quelle est la vocation et la mission de la communication interne ? Comment les entreprises peuvent-elles faire face aux problèmes, à défaut de les annihiler ou de les inhiber ? C’est à ces principales questions que nous essaierons de répondre à travers cet écrit.

I-Communication interne : l’arborescence des problèmes

Ces dernières décennies, plusieurs évolutions majeures ont bouleversé la vie des organisations : le développement d’une économie globale, l’informatisation des procédures et des outils de gestion, l’amélioration qualitative des compétences, la substitution partielle du capital au travail…

La mondialisation de l’économie a eu pour conséquence l’apparition de grandes structures productives, organisées en divisions de plus en plus indépendantes les unes des autres. Ces nouvelles formes organisationnelles, adaptées à des environnements hétérogènes et turbulents modifient le rôle des dirigeants d’entreprises.

De décideurs solitaires, ceux-ci doivent passer à un rôle de coordonnateurs et de garants des objectifs de leurs organisations. Dans le même temps, le niveau de formation des employés devenant de plus en plus élevé, ces derniers doivent apparaître, non plus comme des applicateurs de procédures ou de solutions, mais comme des cadres opérationnels capables de propositions à même d’influencer la stratégie globale de l’entreprise.

Ces deux axes représentent un préalable pour assurer la réussite organisationnelle. Mais dans toute entreprise, le style de management suivi est le principal catalyseur de la motivation et de l’implication des salariés.

Selon Bruno HENRIET[iv], les subordonnés ont besoin de vrais visionnaires, de réels mobilisateurs d’énergie, mais qui savent communiquer et donner des perspectives fiables du futur. C’est ce qu’on appelle dans le jargon du management : les leaders.

De nos jours, les attentes du citoyen sont de plus en plus critiques et exigeantes envers les prestations des services publics, des institutions et des entreprises. Ce contexte qui commande de nouveaux comportements de compétitivité propres à satisfaire le consommateur par un produit ou un service de qualité, par la réussite de la mission de toute organisation, repose désormais sur la performance. En toile de fond, le vainqueur n’est plus celui qui a seulement le meilleur produit, mais bien plus, celui qui sait communiquer et manager.

Malgré les efforts, dans de nombreuses entreprises burkinabè, le style de management reste majoritairement autoritaire. Le laxisme tend à s’installer. Les agents se dévouent de moins en moins pour assumer leurs responsabilités.

Conséquences : les tâches à exécuter, les dossiers à traiter s’accumulent et un précieux temps est perdu dans la course au développement. Paraphrasant Paul Valery, nous pourrions dire pour ce qui est des entreprises : « Nous entreprises, nous savons depuis longtemps que nous sommes mortelles ».[v] Cette mortalité n’épargne aucune entreprise quels que soient sa taille, son domaine d’activité ou sa prospérité du moment.

Ces problèmes d’opacité, de perte de responsabilité et de déontologie défaillante rencontrés par moult organisations relèvent de plusieurs explications :
- de type organisationnel classique : mauvaise organisation et inexistence de corps de contrôle
- de type affectif : absence de valorisation de l’employé.
- de type culturel : peut-on s’attendre à des règles d’action uniformes de salariés qui ne développent pas un « esprit de famille » ?

Mais au delà de tout, la communication interne apparaît, pour le moins, kafkaïenne se résumant, dans certains cas, essentiellement à la transmission de notes de services, de directives.

Pourtant, ainsi que le martèle Dominique WOLTON, « informer n’est pas communiquer ! »[vi] Une communication interne efficace doit épouser les valeurs informatives, intégratives et participatives. Il faut donc convenir avec Jean FAVATIER d’un point : « Le changement ne se décrète pas. Il se communique. On sait le coût social et économique d’une communication interne déficiente : blocages divers, rétention d’informations, démotivation… La gestion du personnel (ou management) et la communication interne doivent être étroitement liées dans une perspective d’accompagnement, d’évolution et de changement »[vii].

« La communication managériale [étant] l’utilisation intelligente des êtres humains »[viii], selon Pierre ZEMOR, il apparaît dès lors intéressant de s’interroger sur la vocation et la mission de la communication interne.

II-La communication interne n’est pas une potion magique à appliquer mécaniquement

La communication interne ne se résume pas simplement à une profession, des outils et méthodes ou techniques de management. Elle est la combinaison de tous ces éléments. L’approche constructiviste d’A. Mucchielli (2002) nous enseigne que la communication interne est un ensemble d’actions, d’échanges, organisés et finalisés se déroulant entre différents acteurs et pilotés par la hiérarchie.

Un point de vue plus anthropologique et clinique nous fera ajouter à cette définition la fonction de canal d’informations qu’elle occupe pour véhiculer les facteurs informels verbaux et non verbaux significatifs des interprétations du groupe quant aux messages de la direction, les rituels et les rumeurs éventuellement témoins d’une faille identitaire de l’organisation.

Dans cette logique, le climat social d’une organisation peut s’évaluer à l’aide d’indicateurs mesurant ses symptômes négatifs comme la fréquence des conflits appréciables par exemple par le nombre de journées non travaillées, la rotation du personnel, l’absentéisme...

Un mauvais climat social renvoie à des perceptions souvent confuses et les causes réelles du malaise sont délicates à faire apparaitre.

De plus, le malaise peut s’accroître de manière irrationnelle par l’effet de halo (Extension à d’autres secteurs alors que le malaise concerne un compartiment précis). D’où l’importance de repérer les premières manifestations de dégradation des relations humaines dans l’organisation et d’engager les actions de communication susceptibles d’améliorer le climat social considéré comme un levier de la performance globale.

La communication interne n’a donc pas seulement vocation à permettre une meilleure circulation des informations. Au delà de l’information, transmission d’instructions, de données, d’ordres sans prise en compte de la réaction du récepteur, la communication interne doit favoriser au quotidien la mobilisation et la motivation des individus, susciter leur adhésion et un sentiment d’appartenance à la collectivité. Elle est étroitement associée aux pratiques quotidiennes de management.

Selon Mucchielli[ix], la mission à long terme et innovante de la fonction communication interne est de promouvoir la prise de risque, l’imagination, l’invention et la singularité, en vue de favoriser le développement de l’entreprise. Elle devra alors :
- Faire converger les efforts de chacun dans la direction la meilleure pour l’entreprise et les hommes
- Faire correspondre les valeurs et les buts individuels dans le travail avec ceux de l’entreprise
- Eviter les pertes d’énergie individuelle afin de la mobiliser toute entière vers l’efficacité personnelle et collective.
- Donner le sentiment d’une évolution méliorative et dynamique de l’entreprise.

En ce sens, la communication interne a donc un rôle essentiel d’intégration, en permettant de conserver les meilleurs éléments (variable fidélité) et d’optimiser le rendement individuel et collectif des collaborateurs (variable productivité).

Elle ne relève pas de positions dogmatiques ou doctrinaires. Elle agit comme la sève nourricière du dispositif interne de l’organisation.

III-Quelques référents de la Com. interne

La règle du jeu de la communication interne est de fédérer les membres du personnel. Dans ce but, il s’agit de communiquer la politique de l’entreprise, ainsi que les contrats d’objectifs au sein de chaque unité. Selon Arsène Flavien BATIONO(2011), « La rétention ne peut donc être acceptée. La communication doit être active et la valorisation du capital humain, effective »[x]

La première difficulté est d’accepter d’être humble, de ne pas croire qu’on va tout résoudre grâce à la communication.

La deuxième difficulté consiste à admettre que la communication est un moyen et non une finalité.

Dans la pratique, la communication interne doit à la fois être descendante, ascendante et transversale.

Elle exige alors beaucoup de rigueur à toutes les étapes :

Préparation du message : Il faut éviter le style compliqué ou alambiqué, savoir utiliser la redondance, répéter avec un enrichissement constant et montrer chaque fois une facette différente du message.
Restitution du message : Le problème à résoudre est de délivrer ce message rapidement et d’une façon assimilable. Les supports utilisés révèlent le style de management du responsable. De fréquentes réunions en petits groupes témoignent d’un style intégré et les tableaux d’affichage, d’un style plutôt impersonnel.
Evaluation : La communication interne se doit de mesurer l’impact de ses actions et d’évaluer toutes les opérations. La communication interne est souvent chargée de procéder à la mesure du climat social de la perception, par le personnel, des messages qui lui sont envoyés par la direction. Les managers doivent donc tenir compte des 3 univers de la communication
- Transmission : quand le stratège se pose la question du choix de l’information qu’il fournira à ses collègues (connaître les écarts de vision)
- Interprétation : Cerner le cadre de référence de ses publics
- Influence : Dans l’annonce du changement il espère obtenir la mobilisation. Questions-clés : Qui ?

Dit quoi ? A qui ? Comment ? Avec quels effets ?

Selon les spécialistes, les responsables de la communication doivent de ce fait être des généralistes du management. Ils doivent être capables d’expliquer les résultats de l’entreprise, la composition de la valeur ajoutée, le calcul de l’intéressement, dialoguer avec les managers de toutes les fonctions, comprendre les langages de tous les métiers… Plus on a confiance en soi, mieux on peut communiquer.

Comme aime à le dire l’une des éminences grises de la communication au Burkina Faso, le Pr Serge Théophile BALIMA[xi], « Il faut entrer en communication comme on entre en religion ». Il faut donc s’y engouffrer avec détermination mais sans prosélytisme…

Aujourd’hui, les Technologies de l’Information et de la Communication (Internet, Intranet, réseaux sociaux, blogs, SMS…) révolutionnent la communication interne. Face à ces mutations, les entreprises se doivent d’être proactives : anticiper et réagir vite aux évolutions. Cela suppose une capacité d’écoute plus vive et plus précise.

Au regard également de la concurrence des compétences, de l’intégration et de la mobilisation du personnel, l’explication et la promotion de la politique de l’entreprise se doivent d’être rapides, claires et cohérentes. Selon plusieurs auteurs, il y a donc lieu pour les organisations de savoir :
- Ecouter : Savoir ce que pensent et ressentent les salariés est une donnée stratégique pour les managers. La remontée de l’information est indispensable. Il est également important de mesurer l’impact des actions pour savoir si ces dernières correspondent encore aux besoins des collaborateurs.
- Produire de l’information : Le choix de moyens d’information mis à la disposition du décideur, se fait à la croisée des budgets, de la culture d’entreprise, des cibles, des supports, et de leur pertinence par rapport au sujet et à la cible.
- Distribuer : La difficulté de cette action est de faire circuler l’information jusqu’au bout de la chaîne.
- Animer : La création d’une dynamique d’échanges internes passe par la volonté de rapprocher des structures, les hommes, et de leur donner la possibilité d’échanger sur leurs problématiques.
- Conseiller : Cette tâche revient à faire remonter les informations auprès de la direction générale, à proposer des contenus, des actions ainsi qu’une planification.
- Planifier et coordonner : Il va falloir choisir un certain nombre d’actions, leur donner une priorité, et les budgétiser selon une chronologie bien précise.
Au Burkina Faso, une organisation comme l’OCADES Caritas Burkina, pour ne citer que celle-ci, perçoit tout le sens de la communication latu sensu et de la communication interne, stricto sensu.
Elle s’est à cet effet dotée d’une stratégie nationale de communication et de plaidoyer dont l’objectif global est « d’améliorer la communication interne et d’accroître la visibilité de l’OCADES Caritas Burkina comme organisation de promotion de tout homme et de tout l’homme »[xii]
La communication interne de l’OCADES Caritas Burkina est basée sur le fait que chaque agent est responsable de l’efficacité des interactions et de l’image que projette l’organisation. En ce sens, la communication interne de l’institution a pour objectifs de mobiliser les forces des travailleurs vers des objectifs communs, de mettre en valeur les réussites , d’accroître le sentiment d’appartenance des agents vis-à-vis de leur structure, de faire en sorte que chaque agent agisse en tant qu’ambassadeur de l’OCADES Caritas Burkina, d’actualiser et de diversifier les outils de communication.

Dans cette dynamique, les responsables de l’organisation s’efforcent d’améliorer la qualité des services, de maintenir un haut niveau de motivation, une bonne ambiance de travail et un climat social harmonieux, de créer un esprit de corps, de fidélité à l’organisation, d’instaurer l’estime, la confiance mutuelle entre les travailleurs d’une part, entre les travailleurs et la direction d’autre part. C’est une expérience qui peut être réproductible.

En définitive, il faut convenir avec Thierry GARNIER, Président de l’Association Française de Communication Interne (AFCI) : « Jamais la communication interne n’a été aussi difficile. Jamais non plus elle n’a été aussi nécessaire. Pour les praticiens, le contexte de nos entreprises en transformation et les défis qu’adressent celles-ci à la fonction communication sont une chance à saisir. Une chance de gagner définitivement un ancrage stratégique sans lequel la fonction restera cantonnée à son rôle de producteur de discours et de supports d’information. Une chance de réincorporer la mission première de toute communication : relier, et ce faisant, donner de la vie. La communication interne est attendue aussi dans sa capacité à concilier une visée éthique, humanisante, avec celle de l’efficacité. »[xiii]

Arsène Flavien BATIONO : Chercheur Associé et
Président du GERSTIC (gerstic1@yahoo.fr et www.legerstic.com)


Références bibliographiques

i-Armand et Michèle Matellard (1999), La communication-monde : Histoire des idées et des stratégies, La Découverte, Paris.

ii-Philippe BRETON(1990), L’utopie de la communication, Seuil, Paris
iii-Paul Watzlawick (Dir), (1972), Une logique de la communication, 1967, Norton, trad. Seuil,

iv-Bruno Henriet(1995), Audit de la communication interne, Les Editions d’organisation, Paris

v-Paul Valery (1919), La crise de l’esprit
vi-Dominique Wolton(2009), Informer n’est pas communiquer, CNRS Éditions, Paris

vi-Jean Favatier, Séminaire sur la communication interne et le management, Paris, 19 octobre 2003
vii-Pierre Zémor (1995), La communication publique, Paris, Presses Universitaires de France(PUF)

ix-Alex Muchielli (2005), Etude des communications : information et communication interne, Armand Colin, Paris

x-Arsène Flavien BATIONO(2011), Communication interne et management : comment optimiser la performance de votre organisation ?, Editions Universitaires Européennes, Allemagne

xi-Pr Serge Théophile BALIMA, Enseignant chercheur à l’Université de Ouagadougou. Directeur du Centre d’Expertise et de Recherches Africain sur les Médias et la Communication (CERAM) et de l’Institut Panafricain d’Etudes et de Recherches sur les Médias, l’Information et la Communication (IPERMIC)

xii-OCADES Caritas Burkina(2008), Stratégie nationale de Communication et de Plaidoyer

xiii-Thierry Garnier (2006), Manager la relation : un nouvel enjeu pour la communication interne (http://www.journaldunet.com/management/0601/0601118tribune-garnier.shtml )