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Communication politique : La campagne présidentielle française au tamis du "storytelling"

samedi 21 avril 2012

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Nicolas Sarkozy a été identifié par l’opinion comme un "bonimenteur" quand François Hollande a assumé "jusqu’à la fadeur extrême" les traits d’un anti-Sarkozy, estime Christian Salmon, qui a passé la campagne au crible du "storytelling".


"Ce que n’a pas compris Nicolas Sarkozy, qui tente sans arrêt une nouvelle histoire -tour à tour protecteur puis agressif, qui va à droite puis qui va à gauche- c’est que sa parole même est décrédibilisée", a dit à Reuters ce chercheur au CNRS, importateur en France de ce concept.
"De la même façon que l’inflation monétaire ruine la confiance dans la monnaie, l’inflation d’histoires a ruiné la crédibilité du narrateur", poursuit l’auteur de "Storytelling : la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits".

Cet essai, publié en 2007, visait à dévoiler l’impact des nouveaux usages du récit dans la communication.

Le storytelling n’est pas pour autant une manipulation unilatérale utilisée aux dépens d’une foule crédule.

"Un narrateur n’est jamais seul, il y a tous ceux qui l’écoutent mais il y a aussi les médias et les internautes qui, en postant des commentaires, des tweets, en rédigeant des blogs, interagissent avec les autres et parviennent parfois à voler la vedette au narrateur principal et réussissent à imposer un autre récit", explique Christian Salmon.

"Dans des sociétés hypermédiatisées, la capacité à construire une identité politique, non pas avec des arguments rationnels mais en racontant des histoires, est devenue la clé de la conquête du pouvoir", poursuit-il.
De ce point de vue, "Nicolas Sarkozy a offert une sorte de cas d’école du storytelling, de manière tâtonnante, zigzagante comme quelqu’un qui ferait l’apprentissage du pouvoir en essayant de maîtriser l’agenda médiatique, de fédérer les attentions jusqu’à développer une véritable atmosphère de série télévisée", poursuit-il.

Dans son nouvel ouvrage publié le mois dernier et intitulé "De Sarkozy à Obama, ces histoires qui nous gouvernent", Christian Salmon propose d’ailleurs non sans une certaine ironie un découpage du quinquennat en sept "saisons" du sarkozysme.

LE PEN, "PLUS BOBO QUE IAGO"

"La campagne aussi est une série télévisée et gare au candidat qui n’offre aucune possibilité de rebondissements, qui n’a aucune réserve de suspense, comme François Bayrou ou Eva Joly."
Le candidat du MoDem "est revenu en 2012 avec le même récit qu’en 2007, avec l’espoir que les événements sinon les électeurs lui donneraient raison", rélève-t-il.

"En 2007, il avait deux atouts : la dénonciation des médias -assumée cette fois-ci par Jean-Luc Mélenchon- et la division du camp socialiste, ce qui n’est plus le cas en 2012 en raison de la possibilité crédible d’alternance".
Quant à la candidate écologiste, "elle a été déstabilisée d’entrée de jeu par son parti qui a négocié dans son dos en renonçant à des éléments de son programme et en l’obligeant à avaler la couleuvre d’un ralliement annoncé à Hollande au second tour. Elle a perdu toute la crédibilité que son parcours professionnel et son courage lui avait value".
Gare aussi au candidat qui ne joue pas son rôle comme la candidate du Front national, prévient Christian Salmon.

"Plus bobo que Iago, Marine Le Pen, investie du rôle du méchant (...) a déçu parce qu’elle a refusé d’incarner l’image du mal en politique", dit- il. "Elle voulait être princesse, or seul le mal est intrigant, désirable comme le savait si bien son père, qui n’a jamais craint, lui, d’être diabolisé."
La candidate du FN "a fait tant d’efforts pour se dédiaboliser qu’elle est allée jusqu’à en oublier les fondamentaux anti-immigrés et sécuritaires de son électorat. Elle a semblé perdre sa substance, se consumer tout au long de la campagne, telle une Jeanne d’Arc sur le grill médiatique".
Le surgissement de Jean-Luc Mélenchon reste la grande surprise de cette campagne, note Christian Salmon.

"Il a imposé une manière de faire de la politique à l’ancienne. Il a su capter et structurer une révolte qui s’est exprimée de manière spontanée par les militants de Puerta del Sol à Madrid et d’Occupy Wall Street à New York.

"Tout en se livrant dans ses meetings à de longs développements pédagogiques sur la crise financière un peu comme un instituteur républicain, Mélenchon a mobilisé les figures de l’émancipation française de la Commune de Paris au Front populaire et jusqu’à Mai-68 dans un grand récit épique.

"Mélenchon a fédéré des courants de la gauche institutionnelle et de la gauche extraparlementaire, une situation inédite dans la vie politique française."

UN VOTE D’IMPEACHMENT

Pour Christian Salmon, "François Hollande, porté par les vagues de sondages comme la seule alternative crédible à Nicolas Sarkozy, a assumé jusqu’à la fadeur extrême, les traits d’un anti-Sarkozy : normal, constant, cohérent, rassembleur".

"Il a un peu essayé avec le ’Rêve français’ de nous vendre un petit récit de campagne, mais il a vite compris que le ressort de l’élection était ailleurs", note-t-il évoquant le titre du livre publié en août dernier par François Hollande.

"En 2012, les Français ne votent pas pour élire un président mais pour le congédier. C’est un vote d’impeachment que les Français vont faire", estime Christian Salmon en référence à la procédure américaine qui permet de démettre un président.

La France est un drôle de pays qui peut voter à contre-cycle, rappelle-t-il. "En 1981, les Français choisissaient Mitterrand en plein triomphe de la révolution néolibérale. En 2007, alors que les Américains, après deux mandats de Bush, élisaient Obama, les Français optaient pour Nicolas Sarkozy."

"Au-delà des traits caricaturaux de la personne, de ses maladresses, de son immaturité, c’est la raison profonde de l’extinction rapide du sarkozysme. C’est un président néolibéral à contre-cycle. Il n’a pas su réinventer une présidence des temps de crise."

LA TÉLÉRÉALITE DE LA TERREUR

L’épisode de la tuerie de Toulouse, le mois dernier, est de ce point de vue symptomatique, pour Christian Salmon.

Pour lui, Nicolas Sarkozy n’a pas ménagé ses efforts pour se repositionner au centre de l’attention publique mais les électeurs ne lui en ont pas su gré.

"Soit que la ficelle soit apparue trop grosse et que le nouveau rôle présidentiel, paternel et protecteur, ait été perçu comme une posture, une mise en scène par l’opinion, soit que l’hyper-mobilisation des audiences provoquée par cet événement n’ait ensuite entraîné une phase de décompression", dit-il.

"C’est la première fois qu’en France les chaînes de télévision d’information continue font à ce point irruption dans la campagne", note Christian Salmon.

"Avec Toulouse, l’attention a été mobilisée et de manière incroyablement efficace par ces chaînes qui ont battu des records d’audience et inventé au pied levé une sorte de téléréalité de la terreur."

Mais cette mobilisation des audiences provoque en retour des phases de décompression dont les politiques font les frais.

"A trop vouloir stimuler les audiences, l’homme politique s’expose à une sorte d’effet feedback sous forme de déception, voire de désenchantement", analyse Christian Salmon.

De ce point de vue, il souligne qu’il ne faut pas confondre la mobilisation électorale par les réseaux sociaux et une repolitisation de la société.
"La forte participation à l’élection présidentielle de 2007 n’exprimait qu’un phénomène d’audimat liée à la personnalisation et non à la politisation des enjeux de l’élection.

"Nicolas Sarkozy a été un formidable excitant politique sur fond de dépolitisation de la société, on a même pu dire qu’il hystérisait la vie politique.

"Le contrôle de l’agenda médiatique apparaît ainsi comme une tentative désespérée de mobiliser des audiences qui se détournent inexorablement de la politique, tentative vouée à l’échec comme le montre, aux élections intermédiaires, la persistance d’une forte abstention."
D’autant que, rappelle Christian Salmon, la crise économique et financière a mis à nu l’impuissance des gouvernants.

"C’est un phénomène qui a touché tous les responsables en Europe qui ont été congédiés par les électeurs ou contraints à la démission par les autorités financières.

"Le discours de la plupart des candidats, discours de raison ou de rigueur, a ratifié cette impression d’impuissance politique face aux marchés souverains", dit-il.

Reuters