Accueil > Actualités > Issoufou Seynou, DG de CROMMIX : « Il faut repenser le cadre politique et (...)

Issoufou Seynou, DG de CROMMIX : « Il faut repenser le cadre politique et réglementaire afin de libérer le vrai potentiel du secteur du numérique »

Lefaso.net

samedi 25 février 2023

Toutes les versions de cet article : [(1|>{1}|?{' '}) [[({'',})]français{'',}] ]

Ingénieur télécoms avec plus de 25 ans d’expérience dans le secteur du numérique, Issoufou Seynou est à la tête de CROMMIX, une entreprise burkinabè spécialisée dans le développement de solutions informatiques et télécoms, la formation sur le numérique, les études et conseils en gouvernance, régulation et politique du numérique. Dans cet entretien, il se prononce, entre autres, sur l’état des lieux du secteur du numérique au Burkina, les défis de la transition digitale et le cadre réglementaire mis en place par l’État


Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter ?

Issoufou Seynou : Je me nomme Seynou Issoufou, ingénieur télécoms avec plus de 25 ans d’expérience dans le secteur du numérique, diplômé de l’Ecole supérieure multinationale des télécommunications de Dakar (diplôme d’ingénieur des télécoms avec un master en gestion télécoms) et de University of West Indies (Master’s degree in Télécommunication Regulation and Policy). J’ai également plusieurs certificats dans le domaine du numérique dont IoTx (Internet des objets) roadmap to a connected world de Massachusetts Institute Of Technology (MIT) et Taiwan International PKI Program Certification (PKI, Signature électronique). J’ai participé à plusieurs consultations sur le plan national et international dans le secteur du numérique.

Présentez-nous votre structure ?

CROMMIX est une entreprise burkinabè spécialisée dans le développement de solutions informatiques et télécoms, la formation sur le numérique, les études et conseils en gouvernance, régulation et politique du numérique. Les solutions de CROMMIX sont présentes dans la plupart des provinces du Burkina Faso et dans la sous-région.

Depuis quand l’avez-vous créée et qu’est-ce qui a motivé sa création ?

J’ai pris la gestion de CROMMIX en qualité de directeur général à partir de 2017. Ma motivation est de capitaliser mes expériences au niveau national et international pour apporter des solutions optimisées et adaptées aux entreprises du Burkina et de la sous-région, de conseiller les Etats sur la régulation, la politique et la gouvernance du numérique.

Comment a-t-elle évolué ?

A partir de 2017, CROMMIX a connu une croissance importante en gamme de solutions et en parts de marché dans les logiciels de gestion, de la formation sur le numérique et les études en réseaux informatiques et télécoms, des études et conseils sur les politiques du numérique dans la sous-région.

Quelles sont vos principales réalisations depuis votre création ?

CROMMIX est leader dans les solutions de gestion des structures de santé et des pharmacies. L’entreprise propose des solutions robustes de gestion commerciale et de stocks à la fois pour le commerce de détail et de gros dans divers secteurs d’activité : commerce général, produits pharmaceutiques et de laboratoires, etc. CROMMIX a mis en place un cadre de formation sur le numérique et sur ses solutions pour renforcer la performance de ses clients. CROMMIX a participé à des consultations au niveau international dans les études et les conseils en régulation et politique du numérique.

Que pensez-vous de l’état des lieux du secteur du numérique au Burkina ?

Le secteur du numérique a connu un développement important ces deux dernières décennies. Un effort important a été fait pour améliorer le cadre politique, réglementaire et juridique. Des offres en fibre optique et en internet hauts débits mobiles se sont beaucoup développées ces dernières années apportant beaucoup de possibilités aux populations et aux entreprises. Les services de money mobiles se sont également développés. Compte tenu du caractère stratégique du secteur du numérique ces résultats peuvent être beaucoup plus important en révisant le cadre politique et règlementaire.

A votre avis, les acteurs ont-ils pris la pleine mesure des défis de la transition digitale ?

La transition digitale est comprise comme étant une dynamique consistant à l’intégration des technologies numériques dans l’ensemble des activités des entreprises (publiques et privées). On parle également de société de l’information, de société du savoir ou de pays sans papiers (Paperless country) où l’essentiel des transactions et processus sont gérés en se basant sur le numérique, réduisant à sa stricte expression l’utilisation du papier. Pour être effective la transition digitale a besoin d’une infrastructure robuste et sécurisée des télécommunications, d’une infrastructure de confiance et de sécurité prenant en compte la signature numérique.

Comment appréciez-vous le cadre réglementaire mis en place par l’État ?

Disons que le cadre réglementaire a joué un rôle important dans la pénétration des services du numérique au niveau des populations et des entreprises avec l’introduction de nouvelles offres et la réduction des coûts de communication : l’internet haut débit mobile et la fibre optique, le paiement mobile. Le contexte sécuritaire est un véritable défi pour une régulation et une fourniture de services de communications efficaces compte tenu de la déstructuration des infrastructures de communication dans des zones insécurisées. Cependant il est indispensable de repenser le cadre politique et réglementaire afin de libérer le vrai potentiel du secteur du numérique pour soutenir plus efficacement l’économie nationale, l’éducation, la protection des données, la sécurité nationale et la bonne gouvernance.

Les politiques publiques en matière de TIC sont-elles adaptées ?

Le secteur des télécommunications est fortement intégré et cela n’a pas permis et ne permet pas de libérer le véritable potentiel du secteur du numérique pour y créer et injecter une forte concurrence pour courber les prix vers le bas, augmenter la qualité des services, faire exploser l’offre et les emplois dans le secteur. L’intégration verticale forte du secteur des télécommunications est une forte barrière à l’entrée pour entreprendre dans ce secteur. La qualité de la restructuration de l’industrie des télécommunications est la clé pour libérer le potentiel de ce secteur.

L’importance du secteur du numérique n’est pas uniquement qu’économique. C’est un puissant levier pouvant impacter profondément tous les domaines du pays : la sécurité, l’économie, l’éducation, la santé, la gouvernance, la démocratie, l’emploi etc. Ce secteur doit être au cœur de nos stratégies de développement et il est risqué de croire que des grands groupes internationaux pourront satisfaire toutes nos attentes et nos ambitions. Aucun pays développé n’a confié le cœur de son système des télécommunications à des acteurs externes. Les grands groupes sont focalisés sur les aspects économiques alors que les enjeux vont largement au-delà. C’est un secteur hautement stratégique et critique pour l’avenir et le devenir du pays.

Que proposez-vous pour réussir la transformation digitale de l’économie burkinabè ?

Je propose de repenser la structure du secteur du numérique et cette restructuration peut être envisagée à travers ces deux axes suivants :

1) Opérer un dégroupage structurel du secteur des télécommunications

Afin de clarifier mon propos je vais utiliser une analogie avec le secteur du transport routier (ces deux secteurs utilisent des modèles proches pour planifier les réseaux et leurs vocabulaires sont similaires : encombrement, trafic, contournement, autoroutes, signalisation, signaux, etc.). Le secteur du transport se décompose en deux couches : les services de transport (compagnies) et les routes. Les compagnies paient des tickets d’utilisation (péages). Il ne viendrait à l’idée d’aucune compagnie de transport de construire ses propres routes pour transporter ses clients.

Le secteur des télécommunications au Burkina Faso se trouve dans la situation où chaque opérateur construit ses propres routes. C’est ainsi on voit des réseaux de fibres optiques côte à côte sur les mêmes axes et dans des quartiers des grandes villes. C’est comme si les compagnies RAHIMO, STAF et TSR avaient chacune son autoroute pour faire Ouaga-Bobo.

Le secteur des télécommunications est intégré verticalement (services et transport) et cela constitue une forte barrière à l’entrée et minore les potentialités du secteur. Il est donc indispensable de dégrouper structurellement le secteur pour libérer son vrai potentiel.

Le dégroupage du secteur des télécommunications consistera à séparer le secteur en deux parties : Fourniture de services de communication (Services de communication) & la fourniture des services de gros (services de transport).

Dans cette configuration la barrière à l’entrée sera faible et on pourra voir éclore différents types d’opérateurs dans le numérique : opérateurs ruraux des télécommunications, des opérateurs régionaux des télécommunications, etc.

Je propose la création d’une seule entité qui sera chargée de la fourniture des services de transport (backbone) à tous les opérateurs et à l’administration publique.

Afin de potentialiser, sécuriser et permettre de mieux planifier le développement du secteur du numérique, il sera judicieux de créer un seul opérateur de backbone (transport) pour concevoir, construire et exploiter un réseau backbone national haut débit de gros pour le Burkina Faso. Cette entreprise devrait être la seule autorisée à déployer la fibre optique et en assurer le transport. Tous les opérateurs utiliseront cette infrastructure pour interconnecter leurs nœuds et leurs sites.

Le cadre politique et réglementaire doit évoluer et trouver des mécanismes transparents et consensuels pour récupérer toutes les infrastructures en fibre optique existantes construites par les opérateurs et réguler cette entité pivot pour la sécurité, l’intégrité et la souveraineté numérique. Il existe des mécanismes de régulation pour réguler un monopole et obtenir des résultats similaires à un environnement concurrentiel.

Un exemple d’une telle approche existe en Australie avec la NBN (National Broadband Network).

Au Burkina l’Etat, le privé national et tous les citoyens pourront contribuer à l’investissement, la protection et à la gouvernance de cette infrastructure essentielle et vitale. C’est un exemple concret où l’idée du Pr Laurent BADO sur l’actionnariat populaire aura tout son sens.

2) Créer une entité indépendante qui va gérer le trafic et le transit international

Les grands groupes de plus en plus centralisent les fonctions de collecte et de de terminaison du trafic au niveau de leurs sièges pour réduire les coûts des communications au niveau du groupe et accroître leurs compétitivités. Cette approche dépouille les Etats de revenus, fait perdre des emplois et des compétences à développer au niveau national. Cette situation crée de l’opacité sur la traçabilité des communications.

Un appel vers un pays voisin sera obligé de remonter jusqu’au siège de ces grands groupes avant de revenir vers le pays voisin. Ce qui pose un problème de cohérence des objectifs du numérique au niveau communautaire.

Chaque fournisseur de services internet recherche ses partenaires à l’international pour louer les capacités. Cette démarche disparate n’est pas de nature à avoir des coûts réduits.

Je propose la création d’un centre de transit international en charge du trafic télécoms sortant et entrant, du trafic internet avec l’extérieur et de la station terrienne.

C’est cette entité qui sera l’interface avec l’international pour les appels entrants et sortants, la connexion au backbone internet avec l’international.

Comme dans le cas du backbone national l’Etat, le privé national et tous les citoyens pourront contribuer à la mise en place cette entité essentielle.

Quels sont les secteurs où vous compter vous engagez ?

Nous allons renforcer nos positions sur le marché des solutions numériques en y innovant encore plus et en participant activement dans les études et conseils sur la gouvernance, la régulation et la politique afin d’accompagner efficacement les Etats de la sous-région. Nous avons planifié cette année avec des partenaires internationaux des séminaires internationaux de formation sur le numérique, la régulation et politique des télécommunications à Ouagadougou.

Lefaso.net

Répondre à cet article